top of page

L’hydrologie spatiale pour la sécurité de l’eau




Plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable[1]. C’est probablement un des problèmes majeurs de notre siècle. Plusieurs causes peuvent rendre la ressource difficilement disponible et/ou accessible : la variabilité pluviométrique, le climat local, les catastrophes naturelles, une mauvaise gestion de la ressource, la pollution, la répartition de la population, etc. avec des conséquences néfastes sur la santé des populations et le fonctionnement de la société (ex., émergence de conflits d’usages).


À cela viennent s’ajouter, l’urbanisation, la croissance démographique, le dérèglement climatique qui exacerbent le stress hydrique aggravant ainsi les tensions locales sur les ressources en eau et compliquant d’autant plus l’accès à l’eau de tous. Ainsi, les quatre principaux enjeux auxquels la communauté internationale est confrontée aujourd’hui sont : les tensions croissantes sur les ressources en eau, l’accès des populations à l’eau potable, la maîtrise des pollutions de l’eau et la gestion des catastrophes naturelles. Cela requiert ainsi une volonté politique forte d’adopter des modèles de gouvernance et d’organisation institutionnelle adaptés aux contraintes socio-économiques et environnementales de chaque pays pour ainsi voir une amélioration nette des conditions de santé et de sécurité des populations[2].


Cette semaine a lieu à Dakar la 9ème édition du Forum mondial de l’eau (FME)[3]. Le FME est le plus grand événement mondial sur l’eau faisant ainsi de ce Forum un moment clé pour la communauté de l’eau et les décideurs. Il est organisé tous les trois ans depuis 1997 par le Conseil mondial de l’eau[4] (CME) en partenariat avec un pays hôte. Il réunit des acteurs de tous niveaux et domaines notamment les États, les institutions multilatérales et la société civile (citoyens, chercheurs, entrepreneurs, etc.). La 9ème édition du FME est la première à se tenir en Afrique subsaharienne. Les deux organisateurs de ce Forum, le Sénégal et le CME ont l’ambition de faire de cette édition un « catalyseur d’action pour accélérer l’accès universel à l’eau et à l’assainissement » afin d’accélérer les actions en faveur de l’accès universel à l’eau et à l’assainissement et de l’Agenda 2030.


Adopté en 2015 par les États membres des Nations unies pour « transformer notre monde »[5], par son caractère universel, intégré et inclusif, l’Agenda 2030 avec ses 17 Objectifs de développement durable (ODD)[6] offre à tous les acteurs, qu’ils soient acteurs du secteur privé ou public, États ou citoyens du monde, un cadre et une vision pour faire face aux divers maux du XXIe siècle tels que la pauvreté, la famine, les risques sanitaires, la déscolarisation, l’inégalité entre les sexes, le recul de la biodiversité ou encore le réchauffement climatique. Cet Agenda permet également de bâtir de façon cohérente et efficace à court terme le monde de demain, un monde plus juste, plus durable et plus respectueux de l’environnement. Son succès le sera si seulement si les promesses faites par les États membres des Nations unies pour atteindre les ODD d’ici 2030 sont tenues et transformées en actions concrètes.


Parmi les 17 ODD, un est dédié à l’eau potable et à l’assainissement (ODD 6) avec des cibles précises et chiffrées à atteindre d’ici 2030 avec pour objectif de garantir l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau couvrant les grands défis de l’eau. Malgré des progrès, le monde n’est pas sur la bonne trajectoire pour atteindre les cibles de l’ODD 6 d’ici 2030[7].


Un des challenges soulevés par l’ONU-eau dans son dernier rapport sur le suivi des indicateurs de l’ODD 6 est le manque de données hydrologiques adéquates entravant les efforts qui visent à orienter les actions là où elles sont les plus nécessaires[8]. En effet, la collecte de données telles que la hauteur des cours d’eau et la qualité écologique des eaux continentales constitue une activité indispensable que cela soit pour évaluer les risques environnementaux et climatiques et poser un diagnostic, mais aussi pour élaborer, mettre en place et suivre les plans d’action. À titre d’exemple, malgré une augmentation en intensité et fréquence des phénomènes extrêmes (vagues de chaleur, fortes précipitations, sécheresses, cyclones tropicaux) dans toutes les régions du monde annoncée avec un réchauffement global de +1,5°C avec des impacts néfastes sur les populations et les moyens de subsistance[9],[10], selon l’Organisation météorologique mondiale, 1 personne sur 3 n’est toujours pas couverte de manière adéquate par les systèmes d’alerte précoce. Seuls 40% des membres de l’OMM disposent de systèmes d’alerte précoce multirisque. Ce constat est lié à d’importantes lacunes en observation météorologique notamment en Afrique et chez les petits États insulaires en développement. En 2019, à peine 26% des stations d’observation africaine ont satisfait les normes de l’OMM[11].


Ainsi, les gouvernements sont invités à mettre en place un suivi efficace et adapté des ressources en eau et des milieux aquatiques via la collecte au niveau national et subnational et le partage de l’information sur l’eau à tous les usagers de la ressource dans le but de faciliter la prise de décision. Ils sont également encouragés à employer des technologies et des méthodologies innovantes pour combler les lacunes en matière de données et d’informations hydrologiques.


Grâce au développement du secteur spatial depuis les années 60, l’observation de la Terre par satellites constitue un allié clé pour compléter l’information hydrologique issue des mesures de terrain. En effet, par le caractère synoptique des données satellites (ex., résolution spatiale, grande fréquence de revisite), les données satellitaires permettent de compléter, de reconstruire et de densifier les jeux de données in situ existantes et d’en extraire via des modèles et outils de traitement et d’analyse des paramètres physico-chimiques et biologiques du milieu, utiles à la prise de décision. De plus, les données satellitaires permettent d’atteindre des zones où les données terrain sont inexistantes et à moindre coût que des instrumentations in situ, mais aussi de s’affranchir des frontières, un avantage considérable compte tenu des divers défis liés à l’eau qui dépassent le plus souvent les limites d’un pays.


Parmi les données satellites existantes, on compte l’hydrologie spatiale qui offre de nouvelles perspectives dans le suivi qualitatif et quantitatif des ressources en eau et des milieux aquatiques. Il y a notamment l’altimétrie spatiale qui permet d’obtenir des informations sur les niveaux des lacs et rivières ainsi que leur débit et cela en différents points sur la planète. Il y a également l’imagerie optique et radar qui permet d’une part de cartographier l’occupation du sol et plus particulièrement d’identifier et de mesurer les surfaces en eau (ex., cours d’eau, plans d’eau, plaines d’inondation, zones humides), enneigée et glacée et d’identifier toute modification et variation dans le temps et l’espace et d’autre part de dériver des informations clés sur la qualité des eaux, nécessaires à l’évaluation de l’état de santé des écosystèmes aquatiques.


Ainsi, une large gamme de variables hydrométéorologiques telles que l’étendue, le niveau et le débit des eaux, les variations de niveau des nappes souterraines, l’humidité du sol, les précipitations, l’évapotranspiration, la qualité de l’eau, nécessaire à l’évaluation et au suivi de l’état de santé d’un point de vue quantitatif et qualitatif des ressources en eau et des milieux aquatiques peut être estimée. Complémentaire aux données hydrologiques de terrain, l’hydrologie spatiale permet en effet d’améliorer la connaissance des ressources en eau continentale disponible et mobilisable, de renfoncer les capacités de surveillance et de suivi, mais aussi de venir en appui dans la conception de nouvelles infrastructures de services (irrigation, hydroélectricité, eau potable et d’assainissement, etc.), dans leurs opérations et la gestion des catastrophes hydroclimatiques (ex., inondations, sécheresses, tempêtes), en particulier dans les régions déficitaires en données de terrain ou difficilement couvertes par des stations hydrologiques et météorologiques in situ.


L’hydrologie spatiale avec ses nombreuses applications utiles à la transformation de notre société offre donc de nombreux avantages pour faciliter l’atteinte de l’ODD6. Cependant, pour faciliter son intégration et utilisation, les produits hydrométéorologiques issus des données satellitaires doivent être adaptés à la gestion des ressources en eau et des milieux aquatiques. Pour cela, plusieurs besoins doivent être comblés :

  • la standardisation des produits hydrométéorologiques avec la mise à disposition de produits hydrométéorologiques de référence basés sur des métriques acceptées et standardisées,

  • la latence des données satellitaires qui doit être relativement courte, avec des données quasi en temps réel notamment dans le cadre de la gestion des risques (ex., sécheresses, inondations, pollutions) et des opérations (ex., irrigation, prélèvement),

  • la fréquence temporelle des données satellitaires qui en particulier doit être sub-journalière à journalière pour suivre les événements hydrométéorologiques (sécheresse et inondation) ou les pollutions pour lesquels les changements sur les milieux naturels sont rapides,

  • la couverture et résolution spatiale qui doivent pouvoir résoudre des bassins versants de quelques km2 à plusieurs centaines de milliers, des cours d’eau et réservoirs de toutes tailles,

  • les séries de mesures satellitaires qui doivent être longues, homogènes et continues, des critères indispensables dans la mise en place d’une gestion adaptée et efficace des ressources en eau,

  • la combinaison des données satellitaires afin de surveiller l’ensemble du cycle de l’eau de façon intégrée.

Outre le défi relatif aux caractéristiques des produits hydrologiques issus des données satellitaires, un des défis majeurs concerne le renforcement des capacités des utilisateurs finaux. En effet, le constat réside par le manque d’expertise technique, mais aussi par le manque de capacité humaine et d’infrastructures pour traiter et interpréter les paramètres hydrométéorologiques issus des données satellitaires et in situ. Ainsi, un des besoins consiste à faciliter l’accès et l’utilisation des produits hydrométéorologiques en fournissant des produits et services prêts à l’emploi dans des formats standardisés d’une part et à investir pour renforcer les capacités techniques et humaines d’autre part.


Or, des difficultés sont constatées pour financer ces dispositifs de collectes, de traitement et de partage de la donnée satellitaire par rapport à d’autres secteurs technologiques. En effet, le problème réside principalement au niveau du transfert technologique et de compétences vers d’autres pays, plus particulièrement ceux en développement. Cependant, le secteur spatial se développant dans de nouveaux domaines tels que le développement durable, l’environnement et le climat, ces nouvelles activités créent ainsi un bouleversement dans le schéma économique du secteur qui passe d’un modèle d’industrie de produits vers une industrie de service. Principalement financé par des investissements publics, le secteur spatial doit aujourd’hui innover en mobilisant de nouveaux investissements notamment issus du secteur privé en s’appuyant sur ses acquis et son savoir-faire en matière de connaissance et d’innovation technologique ou en faisant appel à des financements mixtes dans le cadre des ODD, en particulier pour faciliter l’accès à ces nouvelles technologies et services aux pays en développement.


L’observation de la Terre par satellites et plus particulièrement l’hydrologie spatiale se place comme un outil innovant, avec un atout majeur, celui de contribuer à réduire les inégalités au regard de l’accès à l’information hydrologique, un levier important pour accélérer l’atteinte de l’ODD 6 sur l’eau et pour préparer au mieux les populations aux défis de l’eau qui nous attendent.


RÉFÉRENCES : [1] ONU, L’accès à l’eau potable : plus de 2 milliards de personnes toujours privées de ce droit fondamental (ONU), 19 mars 2019, disponible ici. [2] Gérard Payen, Eau : défis mondiaux, perspectives françaises, 21 février 2011, fondapol, disponible ici. [3] 9ème Forum mondial de l’eau, site officiel disponible ici. [4] Le Conseil mondial de l’eau est une plateforme internationale multipartite créée en 1996 et une association de loi 1901. Site internet du Conseil mondial de l’eau disponible ici. [5] Nations Unies, Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 25 septembre 2015, 2015, disponible ici. [6] En savoir plus sur l’Agenda 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable, voir ici. [7] UN-Water, SDG 6 Progress Reports, 2021, disponible ici. [8] UN-Water, SDG6 update: the world is off-track, disponible ici. [9]IPCC, 2021: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. In Press. Disponible ici. [10]IPCC, 2022: Summary for Policymakers [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, M. Tignor, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem (eds.)]. In: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press. In Press. Disponible ici. [11] OMM, Rapport sur la situation des services climatologiques en 2020 : passer des alertes précoces à des actions rapides, disponible ici.


CRÉDITS IMAGES :

  • gauche : Delta du plus long fleuve du pays, Irrawaddy, Birmanie - ©contains modified Copernicus Sentinel-2 data (2017), processed by ESA

  • droite : Lac Chad dans la région ouest du Sahel en Afrique - ©contains modified Copernicus Sentinel-2 data (2018), processed by ESA

 

À propos de l’auteur : Jennifer Fernando est conseillère en stratégie environnementale basée sur l'utilisation des données de l'observation de la Terre par satellites. Elle accompagne les acteurs des territoires (établissements publics, collectivités, entreprises, ONG/associations/fondations, citoyens) qui souhaitent utiliser les données et images satellites dans le but de faciliter l'évaluation, la gestion et le suivi des ressources naturelles (eau, forêt, sol, air, écosystèmes, biodiversité) et des changements globaux (pollution, pénurie, dérèglement climatique). Elle accompagne également les acteurs de la communauté du spatial (start-ups, PME, ETI, agences spatiales) qui développent des missions spatiales et/ou exploitent les images et données satellites et qui souhaitent développer des applications au plus proche des besoins des utilisateurs finaux et les valoriser auprès d'eux. Contact : jfernando.consulting@gmail.com Site internet : https://www.jennifer-fernando.com

bottom of page