(©CNES)
Ce 16 décembre 2022, le satellite SWOT a été lancé avec succès avec à son bord un altimètre radar innovant qui ouvre de nouvelles perspectives en matière de connaissance et de gestion des eaux continentales, l’occasion de revenir sur cette mission aux multiples atouts.
Un contexte où l'eau continentale est sous très haute tension à travers le monde
Plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable (ONU). C’est probablement un des problèmes majeurs de notre siècle. Plusieurs causes peuvent rendre la ressource difficilement disponible et/ou accessible : la variabilité pluviométrique, le climat local, les catastrophes naturelles, une mauvaise gestion de la ressource, la pollution, la répartition de la population, etc. avec des conséquences néfastes sur la santé des populations et le fonctionnement de la société (ex. émergence de conflits d’usages). À cela viennent s’ajouter, l’urbanisation, la croissance démographique, le dérèglement climatique qui exacerbent le stress hydrique aggravant ainsi les tensions locales sur les ressources en eau et compliquant d’autant plus l’accès à l’eau de tous. Ainsi, les quatre principaux enjeux auxquels la communauté internationale est confrontée aujourd’hui sont : l’accès des populations à l’eau potable, les tensions croissantes sur les ressources en eau, la gestion des catastrophes naturelles et la maîtrise des pollutions de l’eau.
Accès des populations à l’eau potable
Malgré le fait que l’eau potable soit indispensable aux développements des êtres humains et son accès soit considéré comme un droit de l’Homme selon la déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies de 2010, plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable (ONU). De plus, près de 90% des catastrophes naturelles sont liées à l’eau (inondation, sécheresse) avec près de 140 millions de personnes qui pourraient être forcées de se déplacer à l’intérieur de leur propre pays pour éviter les impacts du dérèglement climatique d’ici 2050 (The World Bank, 2018). À cela, 80% des eaux usées dans le monde sont rejetées sans aucun traitement. La crise de l’eau affecte ainsi gravement la santé humaine et environnementale.
Plusieurs défis sont donc à relever tels que garantir l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, condition indispensable pour la santé des populations et réduire l’exposition des populations et des écosystèmes ainsi que leur vulnérabilité face aux risques environnementaux et climatiques en renforçant leur résilience.
Tensions croissantes sur les ressources en eau
Les prélèvements en eau n’ont cessé de croître au cours du temps depuis les années 1900. Cette hausse est corrélée à l’accroissement de la population mondiale qui a augmenté de 4,4 fois par rapport au début du siècle tandis que les prélèvements en eau ont augmenté de près de 7,3 fois (les prélèvements en eau ont ainsi augmenté 1,7 fois plus vite que la population mondiale) (FAO-AQUASTAT).
Si l’on regarde cette fois-ci les prélèvements d’eau par secteur d’activité, on constate que depuis les années 1900, les prélèvements en eau par les divers secteurs n’ont cessé d’augmenter au cours du temps (FAO-AQUASTAT).
Dans une région donnée, cette consommation excessive des ressources en eau par rapport à sa recharge induit un déséquilibre provoquant ainsi un stress hydrique. Dans le monde, plusieurs territoires sont menacés avec des risques accrus à courts et moyens termes de pénuries d’eau. Les principaux facteurs de stress dans la gestion des ressources en eau sont de loin l’accroissement démographique, la hausse des zones irriguées pour l’agriculture et la croissance de l’urbanisation. Une des conséquences des régions à fort stress hydrique est une plus grande concurrence entre les différents usagers de l’eau dans le cadre de l’approvisionnement en eau. L’extension du stress hydrique peut, à moyen terme, provoquer des conflits d’usage entre les divers utilisateurs de l’eau, mais aussi induire plus largement des risques d’insécurité alimentaire, en énergie et en eau potable.
Accroissement des événements météorologiques extrêmes
Le réchauffement global modifie le cycle de l’eau et déstabilise ainsi la distribution de la ressource en eau à la surface de la planète. En effet, il affecte un certain nombre d’extrêmes météorologiques et climatiques dans toutes les régions à travers le globe tels que les vagues de chaleur, les précipitations intenses et les sécheresses. Le réchauffement global vient donc exacerber des situations déjà critiques dans certains territoires menacés par le stress hydrique.
À ce jour, 4 milliards de personnes font déjà face à des pénuries d’eau sévères au moins 1 mois/an (IPCC, 2022). Le réchauffement global a contribué à la hausse des sécheresses agricoles et écologiques (liées à l’humidité du sol) dans certaines régions dues à une augmentation de l’évapotranspiration. Parmi les territoires aujourd’hui menacés par les sécheresses, on recense le pourtour méditerranéen, l’ouest, le centre et le sud de l’Afrique, l’ouest de l’Amérique du Nord, le sud de l’Australie et le nord-est de l’Amérique du Sud (IPCC, 2021).
Les inondations et les sécheresses représentent les 2 principaux types de catastrophes liées à l’eau. Sur la période 2009-2019, les inondations ont causé la mort de près de 55 000 personnes (dont 5 110 pour la seule année 2019), touché 103 millions de personnes (dont 31 000 en 2019) et induit des pertes économiques à hauteur de 76,8 milliards USD, dont 36,8 milliards USD en 2019. Sur la même période, les sécheresses ont causé plus de 2 000 décès et touché 100 millions de personnes avec des pertes économiques estimées à plus de 10 milliards USD (UNESCO, 2021).
Dégradation de la qualité des ressources en eau et déclin des milieux aquatiques
Dans le monde, env. 80% des eaux usées industrielles et municipales sont déversées dans la Nature en n’ayant subi aucun traitement au préalable. Ces rejets provoquent des pollutions chimiques altérant ainsi la qualité des eaux avec des conséquences plus ou moins néfastes en fonction des concentrations sur la santé humaine et celle de l’environnement. Cette dégradation de la qualité de l’eau a une influence sur la quantité d’eau disponible, car cette fraction d’eau contaminée ou polluée ne peut être directement utilisée pour l’hydratation, les processus industriels ou l’agriculture réduisant considérablement le volume d’eau exploitable.
Outre les ressources en eau, les milieux aquatiques et plus particulièrement les zones humides sont en déclin causés par l’anthropisation et l’artificialisation. Selon l’IPBES, 87% des zones humides présentes au XVIIIèmesiècle ont été perdues en 2000. Cette dégradation des zones humides est actuellement trois fois plus rapide, en termes de pourcentage, que la perte de forêts (IPBES, 2019). Les préserver permettrait de limiter les effets des inondations, d’atténuer les sécheresses, de limiter l’érosion côtière ainsi que le réchauffement global ou encore de maintenir un habitat d’un grand nombre d’espèces.
L‘absolue nécessité d‘avoir des informations sur l'eau adéquate pour faciliter la gestion intégrée des ressources en eau
Communément adoptée à l’international, la Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) est le modèle à privilégier. En effet, ce modèle contribue à coordonner le développement durable et la gestion pérenne des ressources en eau pour tous les utilisateurs qu’ils soient résidents en zones urbaines ou rurales, agriculteurs, industriels ou milieux.
Pour cela, une bonne connaissance et compréhension des ressources en eau et des milieux aquatiques devient donc primordiale pour agir efficacement et pour maintenir le développement économique et sociétal dans ce contexte et cela à l’échelle d’un bassin versant voire d’un bassin hydrographique.
La surveillance in situ (stations météorologiques, limnimètres, débitmètres, prélèvements pour analyse en laboratoires, etc.) est généralement le principal moyen exploité. Malgré que les données prises au sol offrent des mesures de qualité et standardisées, il existe un certain nombre d’inconvénients bien connus qui peuvent limiter leur déploiement tels que le coût d’exploitation et de maintenance notamment dans des régions peu accessibles, le manque de capacité technique et humaine qualifiée, ou encore la faible représentativité géographique lorsqu’il faut couvrir de larges régions (ex., bassins versants, bassins hydrographiques). On constate ainsi une tendance persistante et généralisée du déclin du réseau de mesures hydrologiques de terrain qui entrave les efforts qui visent à orienter les actions là où elles sont les plus nécessaires (UN-Water, 2021).
Figure : Cartes représentant les cours d’eau d’une largeur d’au moins 30 m (en haut) et d’au moins 100 m en bas, largeur à laquelle SWOT sera capable de mesurer le niveau d'eau (Source : données issues de l’article Allen & Pavelsky, Sciences 2018 / ©Jennifer Fernando)
Cependant, la collecte de données hydrologiques telles que la hauteur des eaux de surface et la qualité écologique des eaux constitue une activité indispensable que cela soit pour évaluer les risques environnementaux et climatiques ou pour poser un diagnostic, mais aussi pour élaborer, mettre en place et suivre les plans d’action aux échelles géographiques adaptées et dans le cadre des opérations d’exploitation de la ressource.
L’arrivée de SWOT et ses multiples opportunités
Altimétrie spatiale, de l’océanographie à l’hydrologie
Le satellite SWOT (pour Surface Water Ocean Topography) est une mission scientifique conjointe du CNES et de la NASA avec la participation des Agences spatiales canadienne (CSA) et britannique (UKSA). Il a pour principal objectif d’acquérir des mesures d’altimétrie pour estimer le niveau de l’océan, des plans d’eau, rivières et fleuves à l’échelle planétaire.
Depuis les années 90, la France a développé une expertise reconnue à l’international dans le domaine de l’altimétrie avec plusieurs missions spatiales et générations de programmes innovants à son actif avec Topex/Poseidon, Jason 1, 2 et 3, fruit d’une forte collaboration entre la France (CNES) et les États-Unis (NASA). Ces missions ont notamment permis d’apporter de mesures de niveau d’eau de l’océan et des grands fleuves de plus en plus précises au fil du temps contribuant à une meilleure compréhension de l’impact du réchauffement global actuel sur l’océan.
Ces missions d’altimétrie spatiale, initialement dédiées à l’étude de l’océan, ont permis d’importantes avancées technologiques qui ont abouti à l’émergence du satellite SWOT. En effet, le satellite embarque une technologie dite de rupture qui ouvre une nouvelle ère dans l’observation des eaux de surface continentales en offrant des mesures de plus grande précision et avec une meilleure couverture géographique. La mission va ainsi révolutionner notre compréhension du cycle de l’eau, de l’impact des phénomènes anthropiques sur les ressources en eau (ex., réchauffement global, surconsommation de la ressource), mais aussi assister dans la gestion des ressources en eau. SWOT offre ainsi à la communauté scientifique, aux institutions publiques et aux acteurs de l’industrie, des données spatiales plus adaptées à des applications hydrologiques.
Une révolution technologique à bord
SWOT embarque notamment deux altimètres, qui ont pour mission de mesurer le niveau des eaux. Le premier, Poséidon-3 est un radar altimétrique nadir fonctionnant sur 2 fréquences (bandes Ku et C, similaire à Jason-3) qui fournira une mesure à la verticale sous le satellite. Le deuxième, KaRIn, est un altimètre dit de nouvelle génération. En effet, c’est un radar altimétrique et interférométrique à large fauchée qui dispose de 2 antennes SAR en bande Ka permettant d’analyser une surface d’une largeur de 120 km. Cette technologie va fournir pour la première fois des images altimétriques permettant ainsi d’améliorer la résolution spatiale, mais aussi la couverture géographique, des caractéristiques clés pour accéder au suivi des surfaces en eau sur le continent.
Jusqu’à présent les missions altimétriques (Topex-Poséidon, Jason 1, 2 et 3, ALTIKA-SARAL, Sentinel-3, etc.) sont ou ont été destinées à l’étude de l’océan et des grands fleuves avec des caractéristiques instrumentaux et satellitaires incompatibles pour l'étude de l’hydrologie continentale des réseaux hydrologiques secondaires (rivières et plans d’eau). Mais avec l’arrivée de SWOT, on disposera de la topographie des eaux de surfaces et des zones côtières. En particulier, SWOT va ainsi suivre et estimer le niveau des plans d’eau (réservoirs naturels et artificiels) de plus de 250 m2 de superficie ainsi que le niveau d’eau, de pente et de largeur, des quantités pertinentes pour estimer les débits des rivières de largeur supérieure à 100 m avec une précision verticale pour le niveau des eaux de 10 cm soit 10 fois plus précis que les précédentes missions et une période de revisite de 21 jours.
Vers une meilleure compréhension du cycle de l’eau et gestion des ressources en eau
Couplées à des modèles de terrain, ces mesures permettront aux scientifiques d’évaluer avec une plus grande précision la répartition et le stock des ressources en eau douce à la surface de la Terre à partir des estimations du niveau et du débit des rivières et fleuves et du niveau des plans d’eau, ce que les missions spatiales précédentes n’ont pu faire. Elles contribueront également à préciser les modèles hydrologiques de moyennes et grandes échelles, indispensables pour évaluer l’impact des variations du stock des eaux de surface et des niveaux et débits des rivières sur les populations, les activités économiques et les écosystèmes et de mieux comprendre l’impact du réchauffement global sur le cycle de l’eau sur les continents.
Les mesures de SWOT et les outils d'analyse qui seront développés permettront ainsi aux scientifiques du monde entier de mieux comprendre le cycle de l'eau et l'impact des changements globaux sur les eaux continentales et devraient favoriser l'émergence de nouvelles applications à destination d'une plus large communauté d'utilisateurs, acteurs publics et privés du secteur de l'eau participant à la gestion de la ressource en eau (ex., définition des politiques, planification et gestion des catastrophes hydrométéorologiques). Voici ci-après 5 exemples d’applications :
Gestion du partage des eaux et gestion des conflits (international, interrégionale) : Les données SWOT permettront d’enrichir l’information sur l’eau en complément d’autres sources de données (in situ et satellitaires) et ainsi d’apporter une meilleure connaissance et compréhension commune du stock et des prélèvements en eau effectués à l’échelle d’un bassin hydrographique.
Gestion de l’eau pour la consommation urbaine, industrielle, agricole : Les relevés SWOT permettront d’établir un inventaire et d’estimer de façon périodique les quantités d’eau disponibles et potentiellement mobilisables au niveau régional, voire local. Ils viendront compléter l’information sur l’eau, voire apporter des données nouvelles là où les données terrain sont incomplètes ou absentes. Au niveau des réservoirs naturels et artificiels, notamment des barrages hydrauliques, les données SWOT contribueront au développement de modèles prévisionnels de leur remplissage afin de soutenir la gestion de la ressource en période de tension (ex. étiage, crues).
Prévention des inondations – À partir des données altimétriques SWOT, le niveau d’eau des rivières en crue pourra être mesuré avec une plus grande précision améliorant ainsi la modélisation des crues et des inondations et par conséquent, les prévisions et la gestion du risque par les autorités compétentes et les assureurs (aménagement du territoire, primes d’assurance).
Soutien à la navigation fluviale : Les données SWOT permettront de soutenir la gestion du transport fluvial en estuaires afin de mieux comprendre la dynamique des interactions entre l’eau douce et les courants marins. De plus, à partir de l’historique des données, le niveau et les débits des fleuves pourront être anticipés de façon plus précise permettant ainsi de redéfinir les zones de navigation.
Prévisions météorologiques : SWOT apportera des données d’entrée plus précises aux modélisations numériques permettant ainsi d’améliorer les prévisions météorologiques. En effet, SWOT sondera de façon systématique et globale l’océan à l’échelle méso et permettra d’estimer l’amplitude des vagues ou encore avec l’aide de modèles, les vitesses des courants permettant d’améliorer sensiblement les modèles de prévision météorologique.
Tableau : Synthèse des grandeurs mesurables et exemples d’applications dans le domaine de l’hydrologie continentale
Plus aller plus loin :
À propos de l’auteur : Jennifer Fernando est conseillère en stratégie environnementale basée sur l'utilisation des données de l'observation de la Terre par satellites. Elle accompagne les acteurs des territoires (établissements publics, collectivités, entreprises, ONG/associations/fondations, citoyens) qui souhaitent utiliser les données et images satellites dans le but de faciliter l'évaluation, la gestion et le suivi des ressources naturelles (eau, forêt, sol, air, écosystèmes, biodiversité) et des changements globaux (pollution, pénurie, dérèglement climatique). Elle accompagne également les acteurs de la communauté du spatial (start-ups, PME, ETI, agences spatiales) qui développent des missions spatiales et/ou exploitent les images et données satellites et qui souhaitent développer des applications au plus proche des besoins des utilisateurs finaux et les valoriser auprès d'eux. Contact : contact@jennifer-fernando.com
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