Cette semaine est la Semaine mondiale de l'eau, un RDV annuel et mondial qui a lieu à Stockholm, organisé par le Stockholm International Water Institute (SIWI). Le thème de cette édition est "Building Resilience Faster" en mettant l'accent sur des solutions concrètes aux plus grands défis mondiaux liés à l'eau. C'est l'occasion de revenir sur l'un d'entre eux, celui de la qualité des eaux continentales et de découvrir comment l'observation de la Terre par satellites peut contribuer à mieux la suivre, contrôler et surveiller.
1. EAU ET QUALITÉ, UN ENJEU MAJEUR DU XXIÈME SIÈCLE
La Terre est recouverte de près de 72% d’eau. Or, l’eau douce représente seulement 2,8% du volume d’eau total parmi lesquelles 2,1% représentent les glaces et les neiges. Seul 0,7% de cette eau douce est disponible et près de la moitié est composée d’eaux souterraines. Pour ses activités, l’Homme n’a accès qu’à moins de 1% du volume total présent à la surface de la Terre. Cette eau, issue majoritairement des zones continentales, est prélevée dans les cours d’eau, rivières et fleuves et dans les nappes souterraines.
Malgré cette contrainte, depuis plus d’un siècle, l’Homme a profondément modifié le cycle de l’eau et la distribution de la ressource à la surface de la Terre. Son intervention a été menée sans se soucier du coût social et environnemental et sans avoir de vision long terme. Au fil des années, la croissance démographique et économique, l’urbanisme rapide et l’intensification de l’agriculture ont conduit à utiliser et consommer les ressources en eau et les milieux aquatiques au-delà des réserves disponibles dans plusieurs régions du monde engendrant ainsi des difficultés dans sa gestion à court et long termes.
Outre une raréfaction de plus en plus accrue de l’eau, une dégradation de sa qualité est constatée. En effet, l’accroissement des populations et des activités industrielles et agricoles engendre le rejet d’un certain nombre de composés (Figure 1) tels que les nitrates et les pesticides, mais aussi les métaux et autres composés organiques ou inorganiques. Les nutriments azotés et phosphorés sont généralement issus de l’emploi excessif d’engrais minéraux ou organiques dans le secteur agricole ou de rejets industriels et domestiques (ex., détergeant) favorisant le développement d’algues qui appauvrissent les eaux en oxygène (eutrophisation), néfaste pour les organismes aquatiques. Les pesticides qui regroupent les produits phytopharmaceutiques sont essentiellement des produits utilisés pour protéger les cultures ou encore maintenir les routes, les voies ferrées ou autres infrastructures. Les métaux (ex. plomb, cuivre, cadmium) et métalloïdes (ex., arsenic) qui sont quant à eux présents de façon naturelle dans les sols, mais les rejets issus des activités industrielles, agricoles et des transports favorisent la contamination diffuse de ces minéraux dans les eaux et peuvent être toxiques à doses variables pour l’Homme et l’environnement.
Figure 1 : Image prise le 24 mai 2019 par le satellite Sentinel 2 du programme européen Copernicus du lac Tai, troisième plus grand lac de Chine (70 km de long et 60 km de large) montrant la prolifération d'algues toxiques suite au déversement en excès de minéraux et de nutriments généré par l'urbanisation rapide et l'activité économique intensive (agriculture, pêche et industrie) dans la région qui ont conduit à l'eutrophisation des eaux dégradant ainsi la qualité de l'eau du lac et menaçant ainsi la santé humaine et écologique (© contains modified Copernicus Sentinel data (2019), processed by ESA, CC BY-SA 3.0 IGO).
Ces rejets provoquent des pollutions chimiques altérant ainsi la qualité des eaux avec des conséquences plus ou moins néfastes en fonction des concentrations sur la santé humaine et celle de l’environnement. Cela a une influence néfaste sur la quantité d’eau disponible, car cette fraction d’eau contaminée ou polluée ne peut être directement utilisée pour la production d’eau potable, pour certains processus industriels ou encore pour la production agricole ce qui réduit considérablement le volume d’eau exploitable dans une région donnée.
L’ensemble des pressions anthropiques, exacerbées par le dérèglement climatique menacent aujourd’hui de nombreux bassins versants à travers le monde, de la source à la mer en passant par les différents milieux tels que les montagnes, les lacs, les cours d’eau et rivières, les zones humides et les eaux souterraines, et plus particulièrement la durabilité et l’efficacité des ressources en eau.
2. MIEUX CONNAÎTRE LES RESSOURCES EN EAU POUR MIEUX LES GÉRER
Dans ce contexte, tous les acteurs utilisateurs des ressources en eau et milieux aquatiques, qu’ils soient États, gouvernements, gestionnaires, entrepreneurs, organisations non-gouvernementales et associations sont invités à améliorer la gouvernance et les pratiques de gestion de l’eau, plus particulièrement à adopter des standards pour un emploi responsable de la ressource tout en garantissant son partage équitable entre usagers, au-delà de la simple utilisation individuelle.
La qualité des eaux continentales est un paramètre déterminant à connaître, car une eau « propre » conditionne la santé des humains ainsi que celle de l’environnement. Ainsi, garantir une eau de qualité devient un enjeu pour un large nombre d’acteurs des territoires (gestionnaires, collectivités locales, entreprises, etc.) dans le but d’une part d’adapter les pratiques afin de respecter les normes de protection de la ressource et d’assurer la durabilité des ressources en eau nécessaires à la prospérité des communautés locales et des activités économiques et d’autre part, si une contamination est avérée de la suivre et de localiser les zones touchées afin de mettre en place des campagnes de nettoyage voire de restauration.
Le niveau de qualité de l’eau requis est habituellement relatif à son utilisation ou à un bon état des eaux à atteindre pour leur préservation. En effet, le niveau de qualité de l’eau ne sera pas forcément le même pour la production d’eau potable, l’irrigation ou encore la production électrique.
La qualité de l’eau est généralement caractérisée par les propriétés physico-chimiques et la concentration biologique de l’eau et ces dernières permettent d’évaluer l’état des eaux. Il n’existe pas d’indicateurs uniques pour caractériser la qualité de l’eau. Il en existe plusieurs parmi eux il y a (i) pour les critères biologiques, l’abondance et la diversité de la faune et la flore, l’abondance des nutriments et (ii) pour les paramètres physico-chimiques du milieu, la température, la salinité, l’oxygène dissous, la concentration en matière en suspension, par exemple. Leurs quantités peuvent varier spatialement et de façon saisonnière indépendamment des contaminations en polluants.
Leurs évaluations peuvent permettre de déterminer les pressions exercées sur les ressources en eau et les milieux aquatiques tels que l’urbanisation, la croissance de la population, la déforestation, les modes d’agriculture et le changement dans l’utilisation des terres et d'estimer que ces derniers n’altèrent pas la bonne santé humaine ainsi que celle des écosystèmes et les activités économiques essentielles.
Compte tenu de l’étendue des bassins versants et des milieux aquatiques et de la dynamique des écoulements des eaux, un des défis est d’avoir des points de mesure de la qualité des eaux sur un large territoire, à forte répétitivité dans le temps et avec des délais relativement courts afin d’agir efficacement. Or, un manque accru de données hydrologiques de terrain est constaté et plus particulièrement dans les pays en développement. Ce manque doit être nécessairement comblé pour aider dans le planning, le design, les opérations des activités et la gestion de la ressource en eau.
3. L’HYDROLOGIE SPATIALE, UNE SOLUTION POUR CONNAÎTRE ET GÉRER LA QUALITÉ DES EAUX CONTINENTALES
Parmi les données permettant de déterminer les propriétés physico-chimiques et la concentration biologique de l’eau, l’observation de la Terre par satellites peut être un allié clé pour compléter la donnée hydrométrique et alimenter les modèles scientifiques et fournir des informations clés à la prise de décision. Grâce au développement du spatial et plus particulièrement des technologies d’observation associées depuis les années 60, l’observation de la Terre depuis l’espace permet de suivre quasiment en temps réel les phénomènes naturels ou anthropiques en différents lieux de la planète et à différents instants. Les données satellites permettent de compléter, de reconstruire et de densifier les jeux de données in situ existants et d’en extraire via des modèles et outils de traitement et d’analyse des paramètres physico-chimiques du milieu utiles à la prise de décision. De plus, les données satellitaires permettent d’atteindre des zones où les données terrain sont inexistantes et à moindre coût que des instrumentations in situ.
Une des techniques spatiales couramment utilisées est basée sur la mesure du rayonnement solaire renvoyé par la surface dans la gamme du visible et proche-infrarouge (entre 400 et 900 nanomètres). Les matériaux (organismes, sédiments) qui composent les eaux continentales (rivières, lacs naturels, artificiels, estuaires et zones humides) absorbent une partie du rayonnement solaire reçu et le reste est renvoyé vers l’espace. Chacun des matériaux a une réponse qui lui est propre et définit sa signature spectrale (Figure 2). Un certain nombre d’indicateurs de la qualité de l’eau peuvent être mesurés, c’est ce que l’on nomme les paramètres de la qualité optique de l’eau et sont les suivants :
la chlorophylle qui est un indicateur de la biomasse du phytoplancton, de l’état trophique et nutritionnel des eaux,
la cyanophycocyanine et la cyanophycoérythrine qui sont des indicateurs de la biomasse cyanobactérienne commune dans les blooms algaux nocifs et toxiques,
la matière organique dissoute colorée, composante optiquement mesurable de la matière organique dissoute dans la colonne d’eau, utilisée comme indicateur de matière organique et de carbone aquatique,
la matière en suspension totale et les particules non algales utiles dans l’évaluation de la qualité de l’eau potable et dans le contrôle de la bonne pénétration de la lumière nécessaire au bon état des milieux aquatiques,
l’atténuation de la lumière verticale et la turbidité, qui permettent d’évaluer le degré de limitation de la lumière, les taux de production primaire, la composition des espèces et d’autres réponses du milieu aquatique.
Figure 2 : Réflectivité (rapport de l'énergie réfléchie à l'énergie incidente totale) en fonction de la couleur (longueur d'onde) typique d'eau continentale et les signatures spectroscopiques des paramètres de la qualité optique de l'eau.
L’estimation de ces indicateurs et la combinaison de ces informations permettent d’obtenir des informations cruciales pour déterminer et suivre la qualité de l’eau et plus particulièrement pour évaluer l’état d’eutrophisation et le bon écoulement des eaux. Ces différents indicateurs sont classiquement mesurables à partir de capteurs passifs mesurant le rayonnement dans le visible et le proche infrarouge, nommés spectromètres. Couplées à l’imagerie, des cartes de la qualité optique de l’eau peuvent être dressées. Parmi les missions en cours, on compte les missions Landsat 7 (instrument ETM+) et Landsat 8 (instrument OLI) de la NASA et de l’USGS ou encore les missions Sentinel 2 (instrument MSI) du programme européen Copernicus avec des résolutions spatiales adaptées pour l’analyse des eaux de surface continentales.
Outre les paramètres de la qualité optique de l’eau, la température de l’eau est également un paramètre primordial à déterminer. En effet, dans un contexte de dérèglement climatique, la compréhension du régime thermique des cours d’eau et des réservoirs est devenue un enjeu majeur afin d’anticiper les impacts sur les ressources en eau en milieu continental et les écosystèmes aquatiques. En effet, à l’échelle globale, le réchauffement global induit une augmentation de la température de l’air provoquant ainsi une hausse de la température de l’eau, mais aussi diminue le débit des cours d’eau sur le long terme. Cependant, à l’échelle régionale, des disparités existent. Ces augmentations de température ne sont pas toujours liées au réchauffement global. En effet, à court terme, certaines activités anthropiques telles que la production électrique peuvent mener à une hausse locale de la température de l’eau suite à leur utilisation pour refroidir les centrales. De telles hausses de la température de l’eau peuvent conduire à un excès d’évaporation de l’eau et influencer négativement la biodiversité aquatique.
Classiquement, il existe deux méthodes permettant de dériver la température de la surface de l’eau basées sur les propriétés de la surface des eaux à émettre dans l’infrarouge thermique détectable via des radiomètres infrarouge thermique et à émettre dans le domaine des micro-ondes mesurable par des capteurs micro-onde passive dont l’intensité varie en fonction de la température. La première mesure les 100 premiers microns de la surface de l’eau (température de « peau »), la seconde le premier millimètre. Contrairement à la première méthode, les micro-ondes sont peu sensibles à l’atmosphère (nuage, aérosol). Dans la gamme de l’infrarouge thermique, parmi les missions en cours, on compte les missions Landsat 7 (instrument ETM+) et 8 (instrument TIRS) de la NASA et de l’USGS et Terra (instrument ASTER) de la NASA avec des résolutions spatiales adaptées pour les eaux de surface continentales.
Ainsi, diverses applications dans le suivi de la qualité de l’eau continentale dans le cadre de la gestion des ressources en eau et des milieux aquatiques sont possibles. Parmi elles, on peut compter la surveillance de la qualité et la température des eaux rejetées et l'évaluation de leur impact sur les écosystèmes. En effet, la qualité de l’eau des rivières et des lacs peut être altérée par des activités anthropiques par leur rejet. Ces rejets peuvent notamment conduire à des eaux trop chaudes pour les organismes aquatiques ou encore à la prolifération d'algues toxiques. Certaines rivières et certains réservoirs naturels ou artificiels (ex., les barrages) sont exploités par différents acteurs publics et privés (producteurs d’électricité et d’eau potable, agriculteurs, acteurs du tourisme). Ainsi, pouvoir évaluer la qualité de ces eaux dans le temps et l’espace est déterminant, car il peut exister des risques pour la santé des populations humaines ainsi que celle de la faune et la flore qui dépendent de ces masses d’eau.
Dans le cadre d’un suivi régulier, l’observation de la Terre par satellites peut compléter temporellement et spatialement l’échantillonnage partiel in situ de la température des eaux ainsi que de la qualité optique de l’eau à différents niveaux du bassin depuis les rivières et lacs jusqu’aux estuaires et littoraux. Grâce à sa large couverture spatiale, l’observation de la Terre par satellites permet de balayer de larges zones géographiques et de cartographier à moyenne fréquence temporelle de larges territoires nécessaires à la mise en place de systèmes d’alerte en cas de détérioration de la qualité des eaux afin d'avertir simultanément les populations, les autorités locales et les acteurs économiques.
En complément :
Pour découvrir des exemples de réalisations :
* Guide -- Mieux connaître pour mieux gérer, complémentarité entre données de terrain et données satellitaires, vers une meilleure compréhension de l'hydrologie de terrain, Partenariat français pour l'eau, voir partie 2, disponible ici.
* Activités -- Centre d’Expertise Scientifique (CES) Couleurs des eaeux continentales du pôle Theia (pôle de données et de services surfaces continentales), créé en 2015 dans le but de "fédérer les communautés scientifique et technique françaises travaillant sur les thématiques liées à la télédétection satellitaire et au suivi de la qualité des eaux de rivières, lacs et estuaires", voir leurs activités ici.
À propos de l’auteur :
Jennifer Fernando est conseillère en stratégie environnementale basée sur l'utilisation des données de l'observation de la Terre par satellites. Elle accompagne les acteurs des territoires (établissements publics, collectivités, entreprises, ONG/associations/fondations, citoyens) qui souhaitent utiliser les données et images satellites dans le but de faciliter l'évaluation, la gestion et le suivi des ressources naturelles (eau, forêt, sol, air, écosystèmes, biodiversité) et des changements globaux (pollution, pénurie, dérèglement climatique). Elle accompagne également les acteurs de la communauté du spatial (start-ups, PME, ETI, agences spatiales) qui développent des missions spatiales et/ou exploitent les images et données satellites et qui souhaitent développer des applications au plus proche des besoins des utilisateurs finaux et les valoriser auprès d'eux.
Contact : jfernando.consulting@gmail.com
Site internet : https://www.jennifer-fernando.com
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