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La biodiversité sous l'oeil des satellites


Auteur : Jennifer Fernando


À l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, ce 5 juin 2020, la biodiversité est à l’honneur, l'opportunité de rappeler la place de la Nature dans notre société et son importance pour la survie de l'Homme. Avec l'effondrement généralisé de la biodiversité, sa protection et sa préservation sont aujourd’hui une nécessité. L’heure est donc à l’action. Grâce aux diverses données satellites disponibles qui permettent de surveiller les habitats et leurs conditions météorologiques et climatiques (température de l’air, humidité du sol, etc.), la communauté spatiale se mobilise pour analyser et suivre la biodiversité et ainsi assister les acteurs à la résilience des territoires. Voici comment.  


1. La Terre, berceau de la vie

Les images prises depuis l’espace nous ont permis de voir notre planète avec un œil nouveau. C’est tout d’abord par ses multiples couleurs que la Terre se démarque des autres planètes rocheuses de notre système solaire (Figure 1) révélant ainsi ses singularités, résultats d’une histoire qui lui est propre.


Parmi ces couleurs, la couleur verte est celle qui interpelle le plus car associée à la présence de la vie. Elle caractérise en effet la végétation, plus particulièrement les pigments verts des végétaux, la chlorophylle, révélant une biosphère unique et propre à l’histoire de la Terre. Depuis son émergence, la vie n’a cessé d’évoluer et de se diversifier. Elle est, telle que nous la connaissons aujourd’hui, le résultat d’une évolution lente décrite par Darwin où les espèces ont cherché sans cesse à s’adapter à leur environnement, et d’une évolution ponctuée d’événements tels que la chute d’astéroïdes ou encore d’intenses activités volcaniques qui ont changé le cours de l’histoire et notamment le climat de la planète. Cette biosphère est unique dans notre système solaire et essentielle à la survie de l’Homme de par son existence mais aussi et surtout par sa diversité.


La Terre avec ses taches vertes, couleur associée à la présence de la vie (©NASA, ESA).

Figure 1. La Terre avec ses taches vertes, couleur associée à la présence de la vie (©NASA, ESA).


2. Déclin de la biodiversité, une menace pour l'humanité


L’IPBES (plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques), souvent présenté comme le « GIEC de la biodiversité » est un organisme intergouvernemental indépendant constitué de plus de 130 États membres. Il a été créé en 2012 afin de « fournir aux décideurs une évaluation scientifique sur l’état des connaissances sur la biodiversité de la planète, les écosystèmes et les contributions qu’ils apportent aux populations, ainsi que les outils et les méthodes pour protéger et utiliser durablement ces atouts naturels vitaux »[1].

Son nouveau rapport dont le résumé destiné aux décideurs a été validé lors de la 7ème session plénière début mai 2019 (Figure 2) a confirmé le déclin alarmant de la Nature à un rythme sans précédent et qui s’accélère. En effet, près d’un million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction, soit une espèce sur huit pourrait disparaître de la surface de la Terre dans les prochaines décennies. Près de 75% de l’environnement terrestre et environ 66% du milieu marin ont été significativement modifiés par les activités humaines, de sources variées tels que les changements d’usage des terres et de la mer, l’exploitation directe de certains organismes, le dérèglement climatique, la pollution et les espèces exotiques envahissantes[2].

Résumé destiné aux décideurs du rapport d’évaluation globale sur la biodiversité et les services écosystémiques de l’IPBES publié en 2019. (© IPBES)

Figure 2. Résumé destiné aux décideurs du rapport d’évaluation globale sur la biodiversité et les services écosystémiques de l’IPBES publié en 2019. (© IPBES)













3. Le spatial au service de la biodiversité


L'alerte ainsi lancée par les scientifiques, des actions concrètes doivent être mises en place, dès maintenant, afin de protéger, préserver et restaurer les milieux naturels (terrestres et océaniques) tout en sensibilisant les populations sur les conséquences de nos actes vis-à-vis de la Nature.

Afin d’agir efficacement, il est crucial de mieux connaître les milieux naturels mais aussi les causes de leur dégradation et les conséquences sur la santé humaine et de l’environnement pour mieux les gérer. Ainsi, et depuis deux décennies, la communauté spatiale participe activement pour assister les scientifiques, les décideurs et les entrepreneurs en développant des programmes d’observations de la Terre afin d'étudier et caractériser la biodiversité depuis l’espace. Malgré le fait qu'il soit difficile de suivre directement les espèces depuis l’orbite de la Terre, il est tout de même possible, grâce à différentes techniques et méthodes d’observations spatiales, de cartographier les écosystèmes, de déterminer leurs caractéristiques et de suivre leur évolution pour ainsi mieux évaluer la bonne santé de la biodiversité (Figure 3).

L’espace au service de la biodiversité avec quelques exemples de missions spatiales en cours et à venir.

Figure 3. L’espace au service de la biodiversité avec quelques exemples de missions spatiales en cours et à venir.


En effet, plusieurs variables essentielles peuvent être dérivées des données satellites. Il y a les paramètres biophysiques relatifs à la végétation tels que l’albédo de surface (fraction de l’énergie réfléchie par la surface du rayonnement solaire incident), la fraction de couverture végétale, l’indice foliaire (ou Leaf Area Index, LAI) ou encore la fraction de rayonnement photosynthétiquement absorbé par la végétation (ou fraction of Absorbed Photosynthetically Active Radiation, fAPAR). Il y a également les paramètres physiques relatifs aux conditions météorologiques du milieu comme la température de surface et l’humidité du sol. Et pour finir, grâce à la haute fréquence de revisite des satellites, l’impact d’un événement comme les inondations, les sécheresse et les feux de forêts sur la végétation peut également être étudié.

Pour illustrer, prenons l’exemple des sécheresses de l’été 2019 en France et leurs impacts sur la biosphère. Cette sécheresse est le résultat d’un climat chaud et sec causé par un déficit de pluie durant l’hiver 2018 (20% moins de pluie tombée) et à l’absence de pluies sur une large partie du nord de la France durant l’été avec des records de cumuls de pluie les plus faibles. La sécheresse déjà présente sur le territoire a été aggravée par deux grandes vagues de chaleurs, l’une fin juin et l’autre fin juillet, avec de nombreux records nationaux à travers l'Europe et également en France avec 46,0°C (soit 1,9°C de plus que le record précédent).

Depuis l’espace, l’évaluation des impacts de cette sécheresse sur l’environnement peut être conduite en étudiant la réponse du couvert végétal aux modifications des conditions météorologiques (température et précipitation). En effet, ces dernières conditionnent la croissance des végétaux et en stress hydrique et sous de fortes chaleurs, la croissance des végétaux est fortement affectée (taille des feuilles plus petite, jaunissement des feuilles, feuilles qui tombent) permettant ainsi d’évaluer indirectement le niveau de sévérité de la sécheresse et son impact global sur la biomasse.


Les instruments spatiaux tels que les imageurs multi-spectraux qui mesurent la lumière solaire renvoyée par la surface à différentes longueurs d’onde (ou couleur) permettent d’établir des cartes de la réflectivité de la surface de la Terre (terres, cultures, forêts,  lacs, etc.) (Figure 4) et de dériver les paramètres physico-chimiques du milieu (Figure 5).


Sur les images prises par l’imageur multi-spectral (MultiSpectral Instrument, MSI) à bord de la sonde européenne Sentinel-2 avant et durant la sécheresse de 2019, le brunissement d’une large partie du territoire en juillet 2019 met en évidence une perte importante de la capacité de photosynthèse ou une dégradation significative de la couverture forestière, agricole ou du pâturage. Cette observation est la conséquence d'une sécheresse du sol sur une large partie du pays, induite par un déficit en eau des sols superficiels, suffisant pour altérer le bon développement de la végétation, tandis qu'une sécheresse météorologique (déficit prolongé de précipitation) et hydrologique (niveaux des lacs, rivières ou nappes souterraines anormalement bas) s'abattent également sur le territoire. 

Mosaïques d’images de juillet 2018 et juillet 2019 permettant d’évaluer l’état du couvert végétal en France métropolitaine lors de la sécheresse de 2019. Ces mosaïques sont la synthèse mensuelle des données Sentinel-2 (correspondant à la réflectivité de la surface)[3]. (© ImagesSentinel-2 du programme Copernicus de l’UE, traitées par le CNES pour le Pôle Theia sur des méthodes développées par le CESBIO).

Figure 4. Mosaïques d’images de juillet 2018 et juillet 2019 permettant d’évaluer l’état du couvert végétal en France métropolitaine lors de la sécheresse de 2019. Ces mosaïques sont la synthèse mensuelle des données Sentinel-2 (correspondant à la réflectivité de la surface)[3]. (© ImagesSentinel-2 du programme Copernicus de l’UE, traitées par le CNES pour le Pôle Theia sur des méthodes développées par le CESBIO).

Pour aller plus loin dans l’analyse, l’indice de surface foliaire (ratio de la surface totale supérieure des feuilles à la surface du sol sur laquelle la végétation se développe) est souvent utilisé car il constitue un bon indicateur de la biomasse plus particulièrement de la croissance des végétaux et de la densité de peuplement. À partir de l’imageur multispectral nommé VEGETATION à bord des missions SPOT-5 et PROBA-V, les scientifiques ont dérivé cet indice durant l’année 2019 et l’ont comparé à la période de référence 1998-2014 (Figure 5) afin d’étudier quantitativement la réponse de la végétation à la sécheresse. Dès juin et durant l’été 2019, les conditions de sécheresse à travers l’Europe sont perceptibles au niveau de la végétation avec un indice de surface foliaire en-dessous de la moyenne dans plusieurs régions en Europe de l’ouest, dans les Baltiques et en Scandinavie[4] (Figure 5) soulignant ainsi le caractère anormal de l’événement et sa sévérité.

Anomalie de l’indice de surface foliaire pour l’année 2019 par rapport à la période de référence 1998-2014, marquée par une période importante de sécheresse. L’état de la végétation est utilisé comme un marqueur de stress hydrique et de l’impact de cet événement sur la végétation (données SPOT-VGT pour la période 1998-2014 et données PROBA-V pour l’année 2019) (©Copernicus Climate Change Service(C3S)/VITO)

Figure 5. Anomalie de l’indice de surface foliaire pour l’année 2019 par rapport à la période de référence 1998-2014, marquée par une période importante de sécheresse. L’état de la végétation est utilisé comme un marqueur de stress hydrique et de l’impact de cet événement sur la végétation (données SPOT-VGT pour la période 1998-2014 et données PROBA-V pour l’année 2019) (©Copernicus Climate Change Service(C3S)/VITO)


Comme en témoignent les données satellites, la sécheresse de 2019 a conduit à un stress hydrique sur le territoire avec des conséquences néfastes sur la végétation. Il est encore difficile d’associer directement cet épisode de sécheresse au réchauffement global, cependant cet événement est un avant-gout de ce que les climatologues prévoient pour le pourtour méditerranéen dans les années à venir. En effet, avec le dérèglement climatique, les sécheresses vont être plus longues, plus intenses et plus étendues. Dans une vingtaine d’années, en France, la température moyenne augmentera de 0,6 à 1,3°C et jusqu’à 1,5 à 2°C dans le sud-est de la France toutes saisons confondues[5] avec des répercussions sur la biodiversité sur le territoire.

Les données satellites sont un atout majeur pour la caractérisation des milieux naturels ainsi que les phénomènes tels que les impacts du réchauffement global sur la végétation et la biodiversité. Elles viennent ainsi compléter, reconstruire et densifier les données de terrains existantes grâce à son caractère synoptique (couverture spatiale, fréquence de revisite, etc.) permettant de s’affranchir des frontières et de surveiller notre planète et ses écosystèmes à l’échelle globale comme régionale et sur le long terme, des données clés indispensables à l'accompagnement des acteurs à la résilience des territoires.

 

À propos de l’auteur : Jennifer Fernando est consultante en stratégie environnementale. Elle est docteure en sciences de la Terre et diplômée de Sciences Po en politique environnementale. Contact : jfernando.consulting@gmail.com Site internet : https://www.jennifer-fernando.com Références : [1]Pour en savoir plus visiter le site de l’IPBES, disponible ici. [2]IPBES, « Le dangereux déclin de la nature : un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère », Communiqué de presse, mai 2019, disponible ici.

[3]Pour tester l’outil de visualisation du Pôle Theia visiter son site internet, disponible ici.

[4]Copernicus Climate Change Service, European State of the Climate 2019. Disponible ici.

[5]Météo-France, Le climat du futur, disponible ici.


Pour aller plus loin :

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